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GemmeRandomia – Démone rebelle de Mankdebol

Les dés étaient pipés dès le départ…

lundi 26 novembre 2018, par Cham von Schrapwitz

Aujourd’hui, à la faveur de l’excellente cuvée printanière des brasseurs de Glargh, je voudrais profiter d’une inhabituelle période de bonne humeur brassicole pour vous faire des révélations critiques sur le hasard, son fonctionnement chaotique et imprévisible et la façon qu’il a de déjouer les pronostics probabilistes. Et j’en profiterai bien entendu pour ridiculiser les théories farfelues des prétendus érudits qui infestent encore les universités, écoles et scriptoria de la Terre de Fangh.

Waldorg, premier jour de la Fête de la Bière de Printemps

En effet, la fête de la Bière de Printemps bat son plein : Les rues de Waldorg sont envahies d’une foule bigarrée d’aventuriers approximatifs dont le taux d’ébriété n’a d’égale que la maladresse : ils tombent, ils glissent, ils se tranchent la main en essayant de sortir leurs épées, urinent sur leurs chausses face au vent, jettent des boules de feu sur leurs amis, tirent des flèches dans le dos de leurs compagnons, voire écrabouillent les orteils de leur voisin au lieu de fracasser le crâne du gobelin minable qui entendait les détrousser… Pourquoi tant de maladresse ? Bien sûr, la plupart des compagnies d’aventuriers sont passablement limitées quant à leurs capacités intellectuelles et l’abus d’alcool n’arrange rien. Mais le hasard est, la plupart du temps, contre eux.

Et pourtant, parfois le sort nous éblouit : les histoires de succès improbables face à des situations désespérées sont légion. Défaire un dragon rouge à l’aide d’un cure-dents, vaincre un troll des collines pétomane, bannir un prince démon avec une babouche, tenir tête à Gzor plus de six secondes ou parvenir à remplir sans faute ni pénalité un formulaire fiscal de la Caisse des Donjons… Autant de défis impossibles au commun des mortels, mais que des aventuriers minables réussissent de manière routinière.

Cette propension au succès impensable des velléitaires de bas niveaux n’a d’égale que leur capacité à échouer face au banal. Faire ses lacets, occire un gobelin inconscient, lancer un sort de flammèche ou boire une bière sans se noyer dans sa chope sont autant d’actions qui, de manière tout à fait récurrente, entraînent cataclysmes, morts et désespoir au sein des compagnies d’aspirants héros.
Je sais qu’un propos liminaire aussi prolongé en découragera plus d’un, mais il en va du savoir comme de la vue depuis le sommet d’une haute montagne ou du jambon séché : il se mérite par la patience.

Donc, « pourquoi le hasard nous joue-il des tours » ?

La plupart des prétendus érudits, historiens et séniles à barbe postiche assimilés soutiennent que le concept de « l’Élu » explique les succès les plus improbables et les réussites qu’on dit critiques. Dans un monde marqué par la puissance des dieux du Chaos et spécifiquement par la malveillance de Mankdebol, les rares dieux bienveillants ou au moins soucieux de préserver la continuité vitale de l’existence choisiraient régulièrement des individus médiocres, stupides ou semi-hommes (voire des cumulards) pour sauver l’univers. Mais cette théorie née de la paresse intellectuelle des vieux sorciers séniles, aussi séduisante qu’elle soit pour le commun des mortels qui espère un jour être élus par les dieux, ne résiste pas à l’épreuve des faits.

Il faut connaitre les arcanes historiques des guerres entre dieux et démons du Chaos pour voir clair à travers ces comportements erratiques du hasard. Cela tombe bien, j’ai justement découvert un lot de vieilles chroniques et de parchemins oubliés qui traitent justement des guerres démoniaques, de la cuisson des topinambours et des loisirs nautiques. Aussi suis-je aujourd’hui en mesure de vous en révéler le secret (du hasard, pas du pédalo) : tout cela n’est qu’une histoire de coucheries entre démons, de trahison à tiroirs et de vengeance éternelle. Il n’y a pas plus d’Élu que de beurre en branche, même si la découverte récente dans les terres lointaines d’un Fraxinus Butyrum Alba (frêne blanc beurrier) pourrait remettre en cause une partie de cette conclusion en même temps qu’elle ouvre des perspectives intéressantes pour la pâtisserie des semi-hommes.

Mais je sais que cette digression botanique et néanmoins culinaire pourrait perdre la plupart des lecteurs inattentifs ou étudiants en lettres modernes. Aussi reviendrai-je à la problématique des coucheries démoniaques, qui est d’avantage de nature à susciter une profonde concentration chez la plupart de mes lecteurs avides de stupre tentaculaire et de bonnes histoires friponnes.

Ceux d’entre eux qui auront survécu à mes premiers cours de démonologie défensive sans sombrer dans la folie ni périr rôtis par ma colère juste et néanmoins pyromane se souviendront que Mankdebol, dieu du hasard, des dés pipés, de la loose, du fumble jaillissant et des orteils cognés dans les coins des meubles était, à l’origine, un démon de Tzinntch, dieu chaotique de la sorcellerie.

La rébellion de Mankdebol et son accession à la divinité ne se fit pas sans heurs : même si les guerres démoniaques sont impossibles à appréhender par les mortels que nous sommes (surtout vous), on peut néanmoins trouver de solides informations dans quelques textes largement issus d’entretiens avec le cercle proche mais néanmoins restreint des sorciers elfiques de Téclystère [1], comme les fragments du « De Abominatio » de l’abbé Raoul de Glargh, dont une partie a survécu à son utilisation secondaire par des barbares avinés comme accessoire de confort pour la défécation en milieu urbain.
Le point central est que Mankdebol ne se révolta pas seul contre Tzinntch. Quand vous décidez de trahir un dieu du Chaos, c’est un peu comme quand on vous invite à un festin chez les semi-hommes ou à une soirée surprise du clergé de Slanoush : mieux vaut amener des amis [2]. Ainsi, Mankdebol fut suivi par plusieurs démons partageant sa malveillance, comme Meurphii le Législateur, Guignax le Chronofarceur ou Randomia, démone Gardienne des Entropies Poilantes. Sans les pouvoirs de ces nombreux démons, Mankdebol n’aurait pas réussi sa révolte et aurait sans doute été transformé par Tzinntch en lunette de toilettes pour troll dysentérique.

Tout ce que l’on sait de Randomia, c’est qu’elle était disons « en couple démoniaque » avec le dénommé Guignax, tout en étant notoirement proche de Mankdebol. Ne me demandez pas ce que signifie exactement être « en couple démoniaque ». La plupart des vrais érudits en démonologie qui ne servent pas les puissances du Chaos (soit huit ou dix personnes en incluant mon immodeste personne) s’accordent simplement sur le fait que cela implique des tourments indicibles pendant des milliers d’années, d’importantes quantités de cornes, de tentacules et de sabots, un nombre variable d’orifices et de protubérances et quelques soirées au restaurant avant de coucher, car ce n’est pas parce qu’on est une démone qu’on est une fille facile, non mais !
Tout semblait aller pour le mieux dans ce ménage à trois. Mais même chez les démons, le cœur a ses raisons (comme le reste des abats – mais on parle peu des raisons de la rate) et Randomia fut prise dans le tourment d’une sordide histoire de trahison à tiroirs, mais sans buffet à vaisselle.

En effet, il semble que le plan que Mankdebol avait « vendu » à ses complices était de faire tomber Tzinntch pour le remplacer par une sorte d’assemblée participative de princes-démons qui auraient gouverné les arcanes chaotiques de manière collégiale. Mais Mankdebol considérait en secret que les bonnes décisions collectives se prennent en nombre réduit et impair et que trois, c’est déjà trop.

Il choisit donc de trahir ses co-révoltés et poussa son usurpation rebelle jusqu’à l’accession à la divinité, dont on peut dire qu’elle est sensiblement plus délicate et complexe que le grattage des fosses nasales, qui constitue de fait une évolution de carrière bien plus courante chez les étudiants en magie.

Mankdebol parvint, par des moyens peu clairs, à mettre sous contrôle la plupart des démons qui l’avaient suivi. Le « Codex Turbae », légendaire Livre du Désordre, d’auteur anonyme, contiendrait des révélations à ce sujet, mais il semble perdu pour de bon… nous savons néanmoins que Mankdebol échoua à maîtriser Randomia, sans doute moins par faiblesse face à l’être aimé que par ruse de l’intéressée qui, maîtrisant à merveille les effets entropiques, parvint à faire échouer toute tentative du nouveau dieu pour la soumettre à ses volontés. Il semble que Guignax, son ancien amant, préféra également la trahir, pour sauver une partie de ses propres pouvoirs face à Mankdebol, ce qui augmenta encore l’ire de l’éplorée démone : on ne trahit pas impunément un être capable de changer le cours du destin, même si on est soi-même spécialiste en fourberies.

Randomia, en fuite, démon SDF (Sans Divinité Fixe) et passablement courroucée par les trahisons dont elle fut victime, conservait néanmoins des pouvoirs puissants. Elle découvrit vite qu’elle se situait à cheval [3] entre les sphères de Mankdebol et de Tzinntch, sans que l’un ou l’autre des dieux ne puisse complètement la bannir. Aussi décida-t-elle, puisqu’elle ne pouvait les vaincre, de se venger en amenant non pas d’avantage d’entropie, de chaos et de pieds dans les tapis, mais au contraire, des succès aussi spectaculaires qu’impossibles pour les imbéciles de bas niveau qui, parfois, croisaient la route des dieux du Chaos.

Ainsi, lorsqu’on met en perspective l’existence de Randomia avec la plupart des victoires scandaleuses des aventuriers les plus lamentables, tout s’éclaire bien d’avantage qu’avec l’invocation d’un pseudo « Élu ». Il faut simplement admettre qu’il s’agit, là encore, d’une manifestation du Chaos qui, pour une fois, penche vers la bienveillance envers les mortels, mais uniquement par malveillance envers d’autres êtres surnaturels.

Mais invoquer Randomia n’est pas pour autant une option : elle reste une démone, fourbe et malveillante. Si elle est capable de favoriser un paladin de bas niveau face à un Basilic sous stéroïdes, elle peut aussi très bien décider de ne pas le faire, permettant ainsi la transformation dudit chevalier en boite de pâté pour belette tachetée. Aussi, je ne saurais que recommander la plus extrême prudence à ceux de mes lecteurs qui seraient parvenus au terme de cet article en croyant y lire un conseil pour aventure en donjons humides. La seule chose qu’on peut dire de Randomia avec certitude est qu’elle a tendance à surveiller ceux qu’un sort funeste a frappés de manière répétée. Plus des aventuriers auront été « victimes » de Mankdebol et plus elle sera susceptible d’intervenir, pour se venger de son ancien amant. Toute la question est « quand » : la plupart du temps, les infortunés explorateurs de caveaux miteux auront connu un sort funeste et humiliant avant qu’elle ne décide de se bouger les miches. Mais, parfois, elle viendra et vous aurez ainsi la possibilité de triompher de ce géant des glaces à l’aide d’un simple cornet vanille chocolat.

Bref : les démons sont fourbes et rien ne remplace l’intelligence et les boules de feu, sauf bien entendu l’embauche de mercenaires pour faire le sale boulot à votre place…

Cham von Schrapwitz, qui va reprendre une bière de printemps.


[1lequel n’aimait pas trop élargir le cercle de ses amis

[2notez que dans un cas comme dans l’autre, le beurre est fourni

[3mais sans poney à coiffer – n’étant pas une démone elfique