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GemmeLégende de Bernard et Lucienne

L’amour, toujours l’amour !

vendredi 4 février 2005, par Nak’hua Thorp

Chaque peuple a sa légende d’amour fou qui surmonte tous les obstacles et efface toutes les différences, généralement pour se finir par une mort précoce et tragique, parce qu’aller à l’encontre de toutes les conventions, ça va bien cinq minutes, mais la morale doit être sauve à la fin. En terre de Fangh, pourtant, l’histoire de Bernard et Lucienne, inspirée de faits réels, se termine plutôt bien. Du moins, bien ou mal, tout dépend du point de vue. Côté Meuldor, c’est même plutôt la honte.

Lorsque les forces du Chaos furent enfin défaites et que les elfes prirent tout doucement le chemin de la déchéance, les rares Meuldors restés purs décidèrent de repartir d’où ils venaient. La terre de Fangh était désormais trop marquée par le Chaos pour leur convenir. Seulement, il ne restait dans les ports de l’Ouest que deux navires Meuldors en état de naviguer, si bien que seuls les premiers arrivés purent monter à bord. Les autres en furent réduits à voir le Coulunbiel et l’Estdeden disparaître à l’horizon sur fond de soleil couchant [1].

Parmi ces Meuldors restés sur la rive, la seule à ne pas avoir les yeux mouillés se nommait Lucienne. Amenée toute petite par ses parents, elle n’avait aucun souvenir de sa terre natale et se plaisait plutôt bien sur la terre de Fangh. Du coup, elle n’arborait pas au quotidien ce petit air mélancolique qui permet de distinguer un Meuldor au premier coup d’œil. Grâce à son sourire, à ses beaux yeux et à ses cheveux noirs [2] embellis par un baume dont la formule, transmise de génération en génération, allait donner naissance au shampooing Loreliane, elle avait tout récemment remporté le titre de Miss Meuldor. Et alors que les autres pleuraient le départ des navires qui jamais ne reviendraient les chercher, elle quitta des yeux l’océan pour mieux regarder les elfes massés sur la rive. Ses plus sérieuses concurrentes avaient pris le bateau. Et Lucienne sourit de plus belle à l’idée de conserver son titre pour les quelques siècles à venir.

Par la suite, les Meuldors se retirèrent loin du monde, pour vivre entre eux dans des communautés isolées, en pleine montagne ou en pleine forêt. Il suffit d’une centaine d’années pour estomper leur trace dans la mémoire collective. Les autres elfes pensaient qu’ils étaient tous repartis, et les humains ne croyaient même plus à leur existence. Pendant tout ce temps, année après année, Lucienne était réélue Miss Meuldor.

En ces temps troublés où plus personne ne savait à quel dieu s’en remettre, le chevalier Bernard fut appelé par son suzerain. Ce nobliau désargenté, qui possédait en tout et pour tout un corps de ferme en guise de manoir, un cheval et une épée rouillée, reçut le message beaucoup plus tard que prévu, car le parchemin avait fait les derniers kilomètres à pied. Un de ses serfs affamés avait tué et mangé le pigeon voyageur avant de se rendre compte de sa bévue. Remettant à plus tard la décision de faire empaler le miséreux en place publique, Bernard sauta en selle et décida de couper à travers la forêt, dans l’espoir de rattraper une partie de son retard.
Au plus profond des bois, le chevalier crut que les fées s’en prenaient à lui lorsqu’une voix enchanteresse se fit entendre.
"Il portait des culottes aux couleurs de Bomotar, un David argenté ornait son pourpoint de cuir noir..."
Puis il la vit derrière un rideau d’arbres, telle une apparition divine. Lucienne répétait une chanson avec chorégraphie en vue de la prochaine élection de Miss Meuldor.
"Son char qui résonnait comme mille carillons, semait la terreur dans toute la région..."
Si le cheval continua à avancer, Bernard, lui, resta figé en selle, sans voix devant tant de grâce et de beauté. Son regard croisa celui de l’elfette, qui lui sourit. Et il se promit de repasser par là au retour, quand son suzerain n’aurait plus besoin de lui. C’est ainsi que Bernard revit Lucienne, que les deux jeunes gens se plurent, et commencèrent à passer ensemble de bien chastes moments [3]. Jusqu’au jour où Turigol, le père de Lucienne, eut vent de la chose et convoqua le prétendant.

L’elfette se doutait bien que son père, qui serait mort de honte plutôt que de la laisser épouser un elfe sylvain, éconduirait l’humain en moins de temps qu’il n’en faut pour dire "lembas", et elle lui fit promettre de ne pas lui faire de mal. Turigol dut donc utiliser la Ruse™. Il promit à Bernard de le laisser épouser sa fille s’il ramenait le bâton de l’Ordre que Téclystère avait perdu lorsqu’il avait lancé sur Gzor son ultime malédiction [4]. Le plan était simple : même si le chevalier parvenait à le retrouver, le bâton de l’Ordre refusait d’être touché par une créature d’essence chaotique. Or, à part les Meuldors, tous les peuples de la terre de Fangh sont au moins vaguement marqués par le Chaos, et Bernard, tout chevalier qu’il était, ne faisait pas exception à la règle. Lorsqu’il toucherait le bâton, il prendrait en pleine face un assortiment de sorts de défense Meuldors, pas ces sorts de lopettes qu’on fait de nos jours.

Bernard prit la route de la sinistre forteresse sans se douter qu’il s’embarquait pour une des pires quêtes à la con de l’histoire de la terre de Fangh. Tout d’abord, il fit le tour de ses frères d’armes pour tenter de trouver de l’aide, mais depuis bien longtemps [5], plus personne ne voulait aller chez Gzor. Bernard en était à pleurer son infortune dans une taverne quand il vit entrer la plus belle femme du monde. Lucienne était venue l’aider. Poussés par la force de l’Amour, ils réussirent à s’infiltrer dans la forteresse de Gzor, cachés sous une carcasse de cochon mutant. Mais après une inspection méticuleuse de tous les culs de basse-fosse de l’endroit, il devint clair que le bâton ne pouvait être que dans les appartements du maître des lieux. Bernard et Lucienne montèrent donc directement chez Gzor.

Seul au milieu des souvenirs de sa beauté perdue, le monstre hideux s’ennuyait ferme. L’arrivée des amoureux lui fit presque plaisir. Surtout celle de Lucienne.
"Je ne pensais pas voir un jour revenir un Meuldor par ici !" articula-t-il avec une partie non identifiée de son anatomie poulpesque.
"Euh... C’est à dire que..."
L’elfette se reprit avec une vivacité à la mesure de son statut de vedette des podiums.
"Pour votre plus grand plaisir, ce soir, Lucienne, la môme Rossignol, se produit pour vous en direct ! Trois, quatre !"
Et elle entama la chorégraphie si savamment élaborée de l’Elfe de Bomotar, attirant l’attention de Gzor suffisamment longtemps pour laisser à Bernard le temps de trouver le bâton de Téclystère. Le chevalier, qui avait été bien briefé sur les risques qu’il encourait, saisit le bâton en portant d’épais gants de cuir. Il s’apprêtait à repartir discrètement quand l’effet de la chanson de Lucienne s’estompa. Gzor comprit qu’il s’était fait avoir, et furieux, il chercha à récupérer le bâton de l’Ordre.
Qu’il toucha.
Ce qui déclencha une série de sorts variés.
Gzor y perdit un œil et deux tentacules, et la main de Bernard fut emportée par le souffle de l’explosion.

Seule Lucienne eut la présence d’esprit d’attraper son bien-aimé par la main qui lui restait et de l’entraîner aussi loin que possible. Contrairement à Bernard, vite soulagé par une incantation Meuldor, Gzor hurla de douleur pendant encore quelques jours, ce qui mobilisa toute la garde et permit aux jeunes gens de s’enfuir.

De retour chez Turigol...
"Alors, Bernard, tu es revenu, mais où est ce bâton ?"
"Dans ma main."
"Et ta main est ?"
"Joker."
Vaincu par la réplique qui tue, et aussi par les regards implorants de sa femme et de sa fille, Turigol décida de laisser tomber. Bernard et Lucienne purent donc se marier [6], après quoi ils vécurent heureux et eurent beaucoup de... bonheur. Et un seul enfant. Mais toute cette histoire reste une grande source de honte pour le peuple Meuldor en général, et pour Turigol en particulier.

Et si vous vous attendiez à ce que tout cela se termine avec une histoire de dieu de la Mort et de perte d’immortalité, vous vous êtes trompés de légende.

Nak’hua Thorp


[1Depuis la signature de la Grande Charte Narrative de l’an 12 de l’ère des dieux du Chaos, les grands départs se font toujours un soir de beau temps. Ça aurait quand même moins de classe de partir sous la pluie.

[2Rappelons que les Meuldors étaient à peu près tous blonds. Rien que ça aurait logiquement dû mettre la puce à l’oreille des parents de Lucienne : leur fille n’était pas destinée à être une elfette comme les autres.

[3A cause de Lucienne, pas de Bernard. Lui se serait bien passé de la légendaire chasteté des Meuldors.

[4Voir l’article sur la guerre contre les dieux du Chaos.

[5En gros, depuis qu’avait été dissoute la Salutaire et Brève Alliance de Fangh (SBAF).

[6Moyennant quelques aménagements de la tradition concernant le port de l’alliance.