Au Donjon Facile

La paisible bourgade de Valtordu est avant tout connue pour son boudin, dont la réputation explique la prospérité des auberges dans ce qui n’est, après tout, qu’un gros village de deux cents habitants [1]. Cependant, les touristes ne sont pas les seuls voyageurs qui viennent à Valtordu. La proximité du Donjon de Naheulbeuk attire également un autre type de faune, hétéroclite, que l’on regroupe communément sous le terme d’aventuriers.

Partant du constat que l’aventurier moyen dépense beaucoup en équipement avant de s’attaquer au Donjon, le jeune Fourreur Cékado, nain de son état et forgeron depuis sept générations, décida de quitter sa ville natale et d’installer son échoppe à Valtordu. De nos jours, la boutique se situe toujours à la sortie de la ville, au 66 route du Donjon. Mais il ne reste plus rien de l’établissement d’origine, un rudimentaire comptoir en bois où Fourreur vendait pendant la journée les armes qu’il fabriquait la nuit, en louant le matériel du maréchal-ferrant.

Car très vite, la modeste échoppe se fit une réputation auprès des aventuriers. Le travail de Fourreur Cékado était simple mais soigné, et la situation idéale de son commerce lui apportait une visibilité maximale. Le jeune forgeron se fit donc construire sa propre forge et embaucha quelqu’un pour tenir le magasin.

Le commerce fut florissant jusqu’au jour où Zangdar, qui venait de racheter le Donjon de Naheulbeuk, eut l’idée d’y installer une armurerie. Etant sorcier, le nouveau propriétaire possédait des objets magiques, qu’il mit en vente dans sa boutique. Ce fut une période de vaches maigres pour le Donjon Facile. N’importe quel autre que Fourreur Cékado eût mis la clef sous la porte, mais Fourreur, lui, n’était pas du genre à baisser les bras.

Sa première idée géniale fut de diversifier les produits vendus. Il n’avait pas d’objets magiques ? Qu’importe ! Il démarcha les producteurs de la région pour vendre, en plus des armes, des vêtements et protections en cuir, des torches, des lanternes, des produits du terroir [2] et des gravures. Ce n’était pas chez Zangdar que l’aventurier pouvait acheter dans un même pack épée, bouclier, briquet et portrait d’elfette dénudée.

L’autre idée géniale de Fourreur Cékado fut de faire en sorte que tout le monde connaisse le Donjon Facile. Avec l’aide d’un ami, il composa un petit refrain entraînant, et paya grassement une douzaine de ménestrels pour le chanter partout où ils iraient, l’air de rien, entre deux chansons. Voilà pourquoi nous avons tous entendu au moins une fois ce petit air guilleret :
Au Donjon Facile
Chacun est un gros bill
Epées et boucliers
Pour mieux vous équiper

De nos jours, le Donjon Facile et la boutique du Donjon de Naheulbeuk sont parfaitement complémentaires, et connaissent la même prospérité. Fourreur Cékado, grisonnant et heureux, a laissé la forge à son fils [3] pour mieux se consacrer au commerce. Il vend même des épées Durandil, bien qu’il ne soit pas issu du clan qui les fabrique.

Tout juste pourra-t-on lui reprocher un goût douteux pour les sandales.

Nak’hua Thorp