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GemmeRoyaume de Cúyenor

Son histoire, et ce qu’il en reste de nos jours.

samedi 9 septembre 2006, par Nak’hua Thorp

L’île de Cúyenor fait partie de ces curiosités que les marins de la côte occidentale montrent aux touristes les plus fortunés, ou parfois aux mages un peu insistants, surtout quand ceux-ci ont un copain élémental de vent qui peut pousser les navires dans la bonne direction. Située juste assez loin au large d’Alaykjdu pour ne pas être visible depuis la côte même par grand beau temps [1], elle trahit par sa forme en croissant de lune un passé quelque peu explosif. Depuis l’unique village de l’île, quelques sentiers permettent d’accéder aux vestiges d’une cité que l’on devine puissante. Les plus belles ruines ont d’ailleurs été converties en lieu de culte par les habitants. Mais c’est dans les bibliothèques de la Terre de Fangh que se trouve le fin mot de l’histoire.

A l’origine de la fondation de Cúyenor, un seul homme, ou plutôt un seul demi-elfe : Hellrose.

Petit garçon, il avait été caché dans une armoire par sa mère, avec son petit frère Patapon. Tout deux avaient gentiment attendu son retour, mais c’étaient des hommes en armes qui les avaient retrouvés. On leur expliqua que leurs parents avaient pris la mer et qu’on les retrouverait bientôt, mais plus jamais nul ne les revit [2]. Elevé par un cousin aussi riche que dévoué à sa famille, Hellrose ne put cependant jamais se contenter de la vie qu’on lui offrait. Il voulait marcher sur les traces de ses parents, prendre la mer et devenir roi [3].

Arrivé à l’âge adulte, Hellrose était capitaine d’un petit navire qui avait déjà pas mal navigué. Transporteur pour personnes et marchandises, pirate à l’occasion quand les contrats se faisaient rares, il partait régulièrement explorer l’océan, laissant une partie de son équipage à terre et embarquant un cartographe à la place. C’est au cours de l’un de ces voyages que Hellrose découvrit l’île qui accueillerait son royaume. Le cartographe la décrivit comme assez vaste, couverte de hautes herbes au nord, de forêts au sud, et dominée par un sommet escarpé mais colonisé par la végétation. Cela va de soi, la carte de l’époque n’a rien à voir avec le profil actuel de l’île. Hellrose trouva l’endroit fort à son goût. Pour éviter les controverses, il planta un drapeau à ses couleurs sur chaque plage disponible, entreprit de planter ses propres vêtements quand il fut à court de drapeaux, puis reprit le chemin d’Alaykjdu, en pagne et en proie à une vive excitation. Il avait sa nation. Il ne lui restait plus qu’à la peupler.

Hellrose avait beau être connu en ville comme un garçon intelligent, débrouillard et carrément beau gosse, imaginez la réaction quand le bon peuple d’Alaykjdu le vit débarquer, les fesses à l’air et l’œil fou, criant à qui voulait l’entendre qu’il serait bientôt roi. On murmura dans la cité que ses rêves de grandeur lui avaient tapé sur la tête, et qu’on le verrait bientôt, comme son père avant lui, quitter la rade en quatrième vitesse pour ne plus jamais revenir. Mauvaise publicité pour celui qui cherchait justement des compagnons de voyage.

Loin de baisser les bras, le jeune homme revendit un bijou de famille [4] pour engager une quinzaine de ménestrels. Leur mission : chanter à travers toute la Terre de Fangh que là-bas, tout était neuf et sauvage, qu’avec du cœur et du courage, tout était possible, et que si ces dames savaient leurs hommes si fragiles parfois, elles n’avaient qu’à les accompagner. Parallèlement, il fit prévenir quelques amis d’enfance, principalement des elfes, que s’ils voulaient l’aider à fonder son royaume, ils seraient les bienvenus.

Hellrose partit le premier, bâtir le premier port de l’île avec les amis qui avaient répondu à son appel. Pendant ce temps, la cahute branlante marquée "Fondassion du Royaume de Cúyenor" [5] à côté de la capitainerie d’Alaykjdu reçut ses premiers candidats à l’émigration. En un an, près de cinq cents personnes se portèrent volontaires pour le grand départ. Comme quoi, n’importe quel baratin correctement mis en musique peut faire son petit effet.
Evidemment, il fallut aussi payer grassement des dizaines de jeunes filles pauvres pour rétablir par leur présence l’équilibre hommes-femmes de la population cúyenoréenne. Mais ça, personne ne s’en vante. On dit pourtant que la propre épouse du roi Hellrose fut recrutée de cette façon.

On se rendit vite compte que la situation de Cúyenor était idéale pour commercer avec d’autres continents que la Terre de Fangh. Des routes maritimes furent établies, l’économie prospéra. Bientôt Hellrose fut enfin roi d’autre chose que d’un village de cabanons. Il se fit bâtir une capitale digne de ce nom, lança une vaste opération de mécénat, bref, posa les bases de ce qu’on appelle couramment "une brillante civilisation". Pendant que les peuples libres de la Terre de Fangh affrontaient une énième fois Gzor dans le conflit passé à la prospérité sous le nom de Guerre du Piano Unique, les Cúyenoréens développaient le commerce et les arts. Puis Hellrose mourut, le trône passa à son fils aîné, et il y eut une dynastie [6]. Avec le temps, les gènes des copains elfes de Hellrose se diluèrent dans la population, ce qui a donné un peuple d’humains quelque peu évaporés, excellents musiciens, qui peuvent se permettre de passer des heures à admirer une goutte d’eau parce qu’ils vivent plus longtemps que la moyenne.

Tout se serait sans doute mieux terminé sans Sahlmon.

Le demi-démon Sahlmon Ovdaüt trahit Gzor pendant la Guerre du Piano Unique, parce qu’à la suite de la chute inopinée d’une nymphe sur sa tête [7], il avait décidé de devenir gentil. Il quitta donc la sombre forteresse avec quelques documents qu’il remit à Patapon. On suppose que c’est à cette occasion qu’il apprit l’existence de Cúyenor. Cependant, il ne s’y rendit que trois bons siècles plus tard, après avoir fait le tour du continent. C’était partout la même histoire : il s’installait quelque part, tout se passait bien, jusqu’au jour où il se mettait à cracher du feu après avoir bu, et devait à nouveau déménager, poursuivi par des habitants furieux, avec en arrière-plan les ruines fumantes de ce qui avait été leur village. Cúyenor était en quelque sorte sa dernière chance. Ce fut sa dernière destination.

Dans un premier temps, Sahlmon fut un immigrant comme un autre. Comme il faisait d’énormes efforts pour se rendre utile, il fut vite intégré dans la société cúyenoréenne. Une découverte scientifique lui ouvrit même les portes du palais du roi : Sahlmon, qui à force de prendre des cailloux dans la tête, avait des notions de géologie, avait compris que l’île était en fait la partie émergée d’un volcan. Le demi-démon proposa au roi Tar-Thampiôn d’utiliser cette formidable énergie pour chauffer toute la ville. D’abord circonspect, le roi finit par se laisser convaincre. Sahlmon entreprit donc d’utiliser la magie démonique pour créer une nouvelle chambre magmatique sous la cité, à partir de laquelle, pensait-il, il serait enfantin de faire circuler de l’air chaud et de la vapeur d’eau.

Sur la Terre de Fangh, ce fut l’année sans été. De gros nuages de poussière noire firent chuter drastiquement la température pendant deux lunes.

Les réfugiés cúyenoréens expliquèrent que quelques minutes à peine après l’incantation, la terre s’était mise à trembler, et que les habitants avaient fui dans tous les bateaux disponibles, juste à temps pour voir l’île exploser. Nombreux furent ceux qui ajoutèrent : "Avec un peu de chance, cet imbécile a sauté avec". Et de fait, plus personne ne revit Sahlmon. Ce qui, compte tenu de sa nature, ne veut pas forcément dire qu’il est mort. C’est solide, un demi-démon [8].

Lorsque l’air s’éclaircit, il s’avéra que seul un petit bout de Cúyenor émergeait encore des flots. Quelques habitants s’établirent à nouveau sur ce qui restait de leur île, pendant que le reste de la population, descendants de Hellrose compris, décidait de s’installer sur la Terre de Fangh. Cúyenor perdit son statut de place commerçante, en partie au profit d’Alaykjdu. Pour autant, les habitants actuels ne vivent pas dans la misère, car les terres volcaniques sont très fertiles, ce qui rend leur agriculture particulièrement prospère. Les seuls navires qui mouillent désormais dans la baie qui fut leur montagne sont ceux qui viennent échanger leurs denrées contre des produits issus du continent. Tout le monde semble très heureux comme ça.

Les Cúyenoréens tiennent cependant à faire savoir qu’ils recherchent l’héritier légitime du royaume de Cúyenor. Ils ne souhaitent en aucun cas lui rendre son titre de roi, parce qu’ils sont très satisfaits de leur système politique actuel, géré par un chef élu avec l’aide d’un conseil des Anciens. Mais l’an dernier, en faisant des fouilles, ils ont retrouvé l’ancien trône en assez bon état, et ils aimeraient le restituer à la famille.

En attendant, ils continuent de prier dans les ruines de l’ancienne deuxième ville du royaume, pour que surtout, aucun nouveau crétin tenté de manipuler des forces qui le dépassent n’ait un jour l’idée de venir s’installer sur leur petit bout de terre.
Ils jouent de la flûte, aussi. Sans doute le côté elfe qui ressort.

Nak’hua Thorp


[1Ça fait une sacrée distance quand même. C’est pourquoi, ne cherchez pas, Cúyenor ne figure sur aucune carte de la Terre de Fangh.

[2Cette histoire est détaillée dans l’article consacré à Saïlentil et Suelenewing.

[3On préfère toujours se dire qu’une personne dont on a perdu la trace mène une grande carrière très loin d’ici, plutôt que d’imaginer qu’elle a fini dans les filets d’un thonier.

[4Non, pas ces bijoux-là, bande de pervers !

[5Tout le temps passé en mer est du temps en moins sur les bancs de l’école. Moralité : conquérir une terre, pourquoi pas, mais passez votre bac d’abord.

[6Techniquement, il y avait déjà une dynastie : celle des souverains de Gondolavenis, dont les rois de Cúyenor sont les descendants. Mais c’est bien le seul point commun entre la cité-état des montagnes et l’île commerçante.

[7En pleine opération de déforestation pour fournir du combustible aux machines de guerre de Gzor, il était resté sous un arbre dans lequel la nymphe s’était réfugiée. La malheureuse fut immédiatement emmenée à la forteresse pour servir le culte de Slanoush. Sahlmon en eut le cœur brisé.

[8Quoique, même en supposant qu’il a survécu à l’explosion de l’île, je ne donne pas cher de sa peau s’il retombe un jour sur des Cúyenoréens.