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GemmeLes Muses

Divinités mineures des arts beaux et moins beaux

mercredi 8 février 2006, par Nak’hua Thorp

Menestrin, jour béni par les Muses pour l’inspiration. Au détour d’une phrase, d’un coup, on se souvient qu’elles existent. Ces petites divinités n’attendent rien de personne. Elles se contentent de répandre l’inspiration artistique partout où elles passent, un peu au hasard, semant parfois le germe d’une somptueuse élégie dans la tête d’un troll qui n’en fera jamais rien. La tradition populaire veut qu’elles soient neuf (les radins disent sept), mais heureusement pour les artistes, la tradition populaire se fourre le pinceau dans l’œil jusqu’au manche.

En pleine décade d’Uhien le Velu. Incidemment, nous sommes un Menestrin.

Comme me l’expliquait ce matin même un ami poète [1], le secret du succès, c’est d’être copain avec les Muses. Pour cela, il suffit d’avoir la fibre artistique. En effet, contrairement à la majorité des dieux qui puisent leur énergie dans la foi, la dévotion, la prière ou les sacrifices, les Muses se nourrissent d’art. Semer l’inspiration n’est donc pour elles qu’un moyen d’engendrer leur propre nourriture spirituelle. Elles sont normalement invisibles, mais par beau temps, on peut les voir sous la forme d’ombres quasi imperceptibles, se délectant des notes d’un bon musicien ou des portraits d’un grand peintre.
D’autre part, à l’instar de la Fée moyenne, la Muse aime la frangipane. C’est toujours bon à savoir quand on est en panne d’inspiration. Du beurre, du sucre, de la poudre d’amandes, laissez le tout sur la fenêtre et croisez les doigts pour que ça marche.

Les Muses sont de nature divine, mais n’ont pas le statut de véritables dieux [2], car leur essence est fractionnée en beaucoup trop d’entités. Pour faire simple, le peuple des Muses est nombreux, très nombreux. Heureusement pour la multitude d’artistes qui comptent sur elles pour l’inspiration, d’ailleurs. Le fait est, cependant, qu’elles sont regroupées en clans suivant leurs affinités, partant du principe qu’on ne peut pas à la fois inspirer des sonnets et des solos de guitare-démon. C’est là l’origine de la tradition des neuf Muses. Qui sont en fait neuf clans.

- Le clan de Sarim, Muses des textes en vers
La poésie, mobilise depuis la nuit des arts de nombreuses Muses, qui avec le temps, ont fini par se spécialiser. Ode, élégie, sonnet, haiku, tragédie en vers, texte à chanter avec couplets et refrain, sont autant de départements d’activités gérés d’une main de maître par Sarim, la Muse originelle de la poésie. Aux dernières nouvelles, celle-ci serait en congé longue durée pour se remettre d’une dépression causée par la propension des jeunes poètes à vouloir faire rimer "jamais" avec "saigner", ou encore "ferme" avec "dilemme".

- Le clan de Lacalas, Muses du chant
Les idées de chanson, de thème vocal à développer, reprendre et chanter, à l’unisson ou en polyphonie, viennent des Muses du clan de Lacalas. Si vous chantez faux, ça n’a rien à voir, c’est de la responsabilité de la déesse Walkirime. On croise d’ailleurs parfois des ménestrels bénis de Lacalas mais délaissés par Walkirime, dont les chansons laissent une terrible impression de gâchis [3] .

- Le clan de Jourdain, Muses des textes en prose
Le credo des Muses de Jourdain, c’est que tout être qui prend la plume sans intention d’écrire des vers doit bénéficier de leur assistance. Si c’est un poème en prose, il doit être aussi beau qu’une production de chez Sarim. Si c’est une fiction, les commandos d’inspiration sont sur la brèche. Si c’est une lettre à des amis, le texte se doit quand même d’être bien tourné. Et si c’est une lettre de réclamation pour un article non conforme à ce que le vendeur avait montré par palantir, au moins, qu’elle soit bien mordante.

- Le clan de Troikou, Muses de l’art dramatique
Comment aborder le personnage que l’on doit jouer ? Quel décor choisir pour sa mise en scène ? Comment renouveler son spectacle de mime ? Que manque-t-il à une troupe de rue pour attirer le public ? Les Muses de Troikou se délectent de la réussite des idées qu’elles inspirent, si possible sous forme de rappels bissés.

- Le clan de Krutt, Muses de la peinture
Si le dieu Fuhala est sans doute à l’origine de l’idée qu’eut le peintre Articho de représenter des personnes sous forme d’assemblage de fruits et légumes, la réussite de son entreprise tient probablement aux Muses du clan de Krutt. Articho est en effet célèbre pour s’être exclamé dans son atelier "Des cornichons, bien sûr !" alors qu’il peignait le portrait du tyran Haxirp Vontorz. De fait, les sourcils figurés par des cornichons donnent toute sa personnalité au visage [4].

- Le clan d’Orelief, Muses de la sculpture
Le sculpteur inspiré par les Muses d’Orelief est le seul à voir dans le bloc de marbre mal dégrossi le personnage qu’il en fera au bout de longues heures de travail. L’inconvénient, c’est que tout le monde n’est pas un bon sculpteur, et que trop souvent, une fois le travail terminé, l’artiste est toujours le seul à voir son personnage dans le bloc de marbre qu’il a massacré.

- Le clan d’Ikh, Muses de la mélodie
Composition, arrangements, synchronisation des instruments sont de vastes domaines où l’intervention des Muses est toujours la bienvenue. Malgré quelques désaccords persistants sur des sujets sensibles comme la préséance (ou non) des intervalles dits "justes", chaque jour apporte au monde de nouvelles mélodies. La flûte elfique s’accorde désormais avec la guitare-démon et la banane à percussion. Nombreux sont d’ailleurs les bardes qui ont composé une chanson à la gloire de la Muse Ikh.

- Le clan de Ghel, Muses de la cuisine
L’art culinaire a lui aussi droit à ses lettres de noblesse. Si votre idée folle de faire la tarte à l’envers donne n’importe quoi, soupçonnez l’influence du dieu Fuhala. Si en revanche vous obtenez une tarte Tatin, c’est sans doute un coup des Muses. Plus encore s’il s’agit d’une nouvelle recette de frangipane. La Muse Ghel a un talent tout particulier pour les mises en bouche.

- Le clan de Baley, Muses de la danse
Danser est une activité naturelle pour les Muses, que celles-ci transmettent souvent avec plaisir aux artistes qui s’ouvrent à elles. On peut néanmoins se demander si le clan de Baley n’a pas complètement perdu les pédales dans ses petits chaussons, car on voit émerger dernièrement des tendances comme le pogo-folk, la farandole sur peau de banane, et même "l’allégorie déstructurée de la fragilité destructrice des pulsions modernes sur l’elfe d’aujourd’hui" [5].

Auxquels il faut ajouter quelques clans mineurs de création récente (liste non exhaustive). Ces clans sont dits "mineurs" parce qu’ils sont plus jeunes et quelque peu underground, pas parce qu’ils sont moins nombreux :

- Le clan de Timiké, Muses du dessin narratif
Timiké a fait sécession du clan de Krutt pour des raisons de finalité artistique : son clan s’occupe des croquis, des gravures satiriques et des historiettes dessinées avec philactères, bref, de tout ce qui vise à raconter des choses plutôt qu’à atteindre un idéal de beauté. Cet art est vu de haut par les peintres, qui parlent avec mépris de "faire des Timikés".

- Le clan de Bidd, Muses de la blague
Particulièrement actives dans les cercles des adorateurs de Keskonspwale, Poilaff et autres démons du rire, les Muses du clan de Bidd sont d’infatigables pourvoyeurs de calembours. Elles ont désormais leurs propres fidèles, qui scandent en chœur le nom de Bidd pour saluer les blagues les plus percutantes.

- Le clan de Coupécou, Muses de la mode
Nos couturières ne sont plus ce qu’elles étaient. Sous l’influence de ce nouveau clan, elles se mettent à avoir des idées stylistiques toutes plus novatrices (voire plus importables) les unes que les autres, à se faire appeler "créatrices" et à revoir à la hausse le prix de leurs vêtements. Le même élan pousse les barbiers à couper les cheveux des dames et à se faire appeler "coiffeurs". Difficile de savoir si ce qui nous parcourt l’échine est un frisson d’excitation ou d’horreur.

Tout cela est évidemment à la fois complexe et réducteur. Par exemple, un auteur-compositeur-interprète qui chante des chansons à texte en s’accompagnant à la vielle à roue se place simultanément sous le patronage de Sarim, Lacalas et Ikh [6]. Il est même probable que les Muses qui s’occupent de son cas soient elles-mêmes liées à au moins deux des trois clans.

Vous en savez maintenant assez pour souffler sous le nez de qui-vous-savez [7] l’idée révolutionnaire de "Muse : l’Inspiration".
C’est aussi ça, le miracle des Muses.

Nak’hua Thorp


[1N’étant pas un barbon barbu barbant et asocial claquemuré dans sa tour, j’ai des amis, moi.

[2Oui, il y a aussi des Muses mâles, même si on dit "une Muse" comme on dirait "une souris" ou "une gazelle".

[3Le dénommé Mafiou Bel-Ami, connu pour vivre parmi les Muses, n’en est pas là, mais il respire plus fort qu’il ne chante et c’est assez énervant.

[4Haxirp fit quand même exécuter Articho, car il n’avait pas apprécié d’être représenté avec un coing à la place du nez.

[5De quoi donner raison à la chanteuse Séli Diote qui annonçait il y a quelques années "Attention, le Baley va s’allumer".

[6Le Naheulband mobilise quant à lui pas moins de quatre clans : Sarim, Lacalas, Ikh et Bidd. Avec parfois la participation exceptionnelle de Troikou et de Ghel.

[7Mais si ! Ils sont connus comme le loup blanc...