Graambël et les Palantirs

Tour de Blizdand, 6e jour de la lune de Fuhalië

On dit souvent que les Elfes n’ont pas de sens pratique, et sont obnubilés par l’esthétique, que seuls les Hommes, les Gnomes et les Nains savent inventer des choses utiles comme la machine à écarteler, la Vierge de Fer [1], la hache à décapiter ou la fourchette à limaces. Pourtant, le palantir est une invention elfique, et une belle : un outil qui combine esthétique, ergonomie et utilité. Bien sur, il y a un Nain dans l’histoire, mais quand même.

Il y a bien longtemps [2], vivait un mage Elfe du nom de Graambël. Comme tous les magiciens Meuldors du Premier Age, il était maître dans l’art de la magie du chant. A coté de lui, Pavaroti chantait comme Welf [3].

Les Elfes créaient un peu tout par magie, depuis leurs babouches pointues ridicules, en passant par leurs épées jusqu’à leur shampooing vitaminé. Les Elfes pouvaient communiquer par télépathie chantée sur de grandes distances. C’est aussi une des raisons pour lesquelles ils étaient de bons chefs de guerre, de bons marchands et de bons colporteurs de ragots. Pourtant, avec la chute des Dieux du Chaos et l’explosion terrible qui suivit la bataille du Désert des Plaintes, les Elfes Meuldors commencèrent à dégénérer. Parmi les inconvénients chaotiques que durent endurer pour la première fois ces êtres parfaits, citons les oreilles pointues, les fausses notes et précisément l’interruption totale ou partielle des capacités télépathiques.

Or les Elfes s’étaient éparpillés sur toute la Terre de Fangh. Ils souhaitaient, comme tout le monde, garder le contact avec le petit dernier qui est à la fac à la Ville (à peine 735 ans et déjà loin de sa maman). En outre, les interactions avec les Humains augmentaient, et ne se limitaient plus à des échanges de flèches et d’enclumes dans la tronche. Très peu d’Humains manifestaient un don pour la télépathie. Bien sur, ils étaient très recherchés par les puissants et très demandés, mais ce n’était pas une solution pratique.

Revenons à Graambël, qui avait décidé de rester sur la Terre de Fangh (à moins qu’il n’ait raté le bateau comme certains). Consterné par ses premières fausses notes et par la friture télépathique qui commençait à lui pourrir le lobe frontal, il se mit à étudier toutes ces questions de communication et de magie. Il remarqua que les vents du Chaos avaient des courants très erratiques, et qu’il était difficile de transporter quelque chose de structuré par ce biais. Il nota aussi que la magie des Elfes permettait parfois de discipliner ces vents en courant de fond, les faire passer par les champs telluriques, pour les faire onduler dans le même sens. Un peu comme un peigne dans une barbe de Nain un lendemain de cuite. Il fallait bien sûr rendre les enchantements permanents et trouver un moyen simple d’assurer l’interface entre l’utilisateur non-mage et le bidule.

Après des essais infructueux et plutôt stupides avec des pots de yaourts et de la ficelle, des diaphragmes en or et des sorts d’électricité [4], il mit au point un enchantement permanent d’une portée de plusieurs centaines de kilomètres, permettant de faire passer des mots, des images et des odeurs [5] à travers les vents du Chaos. Graambël n’avait qu’un problème : tous les artefacts qu’il utilisait, miroirs, médaillons, cristaux et autres poêles à frire, généraient d’importantes interférences.

La solution vint d’où on l’attendait le moins, comme d’habitude, c’est à dire d’un jeune Nain nommé Tomhas, fils de Hedy. Forgeron itinérant, il se déplaçait de ville en ville pour apprendre aux Hommes à domestiquer l’enclume et le fer, pour forger des haches de batailles convenables plutôt que de se servir de l’enclume elle-même comme arme de jet. Il fabriquait aussi des catapultes, et fondait de grosses boules de bronze recouvertes d’une coque de fer pour les armer.

Un jour qu’il venait de couler un bronze pour armer un trébuchet automatique à double tambour, il fut victime d’un incident de tir. Le boulet parti trop loin, et alla se loger dans la fenêtre d’une tour de magicien Elfe dont j’espère que vous avez deviné l’identité, sinon ce n’est pas la peine que je me donne tout ce mal.

Graambël faisait des essais avec de gros cubes d’obsidienne, et ne comprenait pas pourquoi il avait toujours autant d’interférences. Il était dans un endroit ou personne ne pouvait aller à sa place lorsque le boulet fit exploser sa fenêtre et vint fracasser son cube d’obsidienne, avant de terminer sa course dans les toilettes, à l’étage inférieur, sur la tête du mage. Il eut l’illumination (et un sacré mal de crâne). Pour minimiser la déperdition, il fallait offrir au vent magique une surface lisse, avec un élément catalyseur et un élément isolant.

Le jeune Hedyson s’attendait déjà à être vaporisé par un sort Elfique vengeur, mais au lieu de cela il lui fut commandé des sphères de fer magnétisées, entourées d’obsidienne polie... Irréalisable sans magie bien sûr.

Graambël et Hedyson se mirent au travail dans la tour du mage, pendant que des ouvriers réparaient les dégâts dus à la chute du boulet. Les talents magiques de l’Elfe et le doigté du Nain surmontèrent tous les obstacles, et c’est dans la chaleur surnaturelle d’une forge elfique mise en œuvre par un Nain que naquirent les deux premiers objets de communication magique à grande distance.

Restait à leur trouver un nom plus court et plus vendeur. A ce moment un des ouvriers hurla à son comparse resté en bas pour charger des planches sur la corde qui pendait du dispositif de levage "le palan ! Tire !".

Cela sonnait bien, ne voulait rien dire et c’était amusant à l’oreille. Parfait pour un objet magique à vocation commerciale. Heureusement d’ailleurs, car la phrase suivante fut "La poulie ! Pousse !".

On a donc échappé au pire. Je vous le dis tout net, un poulipousse de communication, très peu pour moi.

L’invention fit la fortune de Graambël et de Hedyson. Leur belle amitié survécu même à la guerre entre les Elfes et les Nains. Entre gens de science et inventeurs, on se comprend. Ils eurent à leur actif quantité d’autres inventions amusantes. Le xylophone automatique assourdissant [6], l’aspirateur autonettoyant, l’ouvre-boîtes magique, puis vingt ans plus tard la boite de conserve.

Mais le palantir reste la plus belle invention de Graambël. Et aussi la preuve que Nains et Elfes peuvent travailler de conserve sans se mettre en boite.

Certains palantirs eurent des carrières célèbres. Citons le palantir cassé de l’Elfe Saïlantil, qui parce qu’il fut fracassé sur le crâne d’une liche permettait de détecter les morts-vivants. Ou bien encore le palantir de Gzor, dérobé par un de ses agents, et avec lequel il convainquit Starwoman le Mage ambitieux de trahir les Elfes et les Humains.

Tout ça est bien joli, mais depuis que Graambël a vendu son brevet à des sociétés sans scrupules, opérateurs de palantirs privés motivés par l’appât du gain, c’est n’importe quoi. Hélas c’est la rançon de la démocratisation du palantir, fabriqué en grande série. Heureuse était l’époque ou nous étions une centaine dans toute la Terre de Fangh à posséder ces magnifiques outils... Maintenant il faut un annuaire pour s’y retrouver. Enfin on a quand même gagné Paypalantir, qui est bien pratique pour commander des composants de sort par Chronotroll.

Cham von Schrapwitz, Elémentaliste de la poule de feu.

ps : ne communiquez jamais votre numéro de Palantir à la légère. Vous pourriez recevoir un appel de Gzor ou pire : d’un vendeur d’encyclopédie débile...